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Tocqueville Conversations 2024- Citizens, wake up! How can we save our democracies

  • September 16, 2024
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The 2024 Tocqueville Conversations were held on July 5th and 6th 2024 at the Chateau de Tocqueville. Discover the report written by Francoise Melonio (in French)

“The Tocqueville Review/La Revue Tocqueville, Vol. XLV, n° 2 – 2024”

LES CONVERSATIONS TOCQUEVILLE

6e édition, 5 et 6 juillet 2024

Françoise MÉlonio

Les sixièmes Conversations Tocqueville, organisées au château de Tocqueville par la Fondation Tocqueville, Le Figaro, avec la participation de l’Atlantic Council, de la région Normandie, du département de la Manche et de la communauté de communes du Cotentin et diverses fondations ont accueilli une centaine d’auditeurs et un riche panel d’intervenants de compétences et d’origine géographique diverses les 5 et 6 juillet 1.

OÙ sont les citoyens ?

Cette sixième rencontre était intitulée : « Citoyens, réveillez-vous ! Comment pouvons-nous sauver nos démocraties ? »  Dans la fidélité à l’esprit de Tocqueville, il s’agissait de sommer nos contemporains de choisir entre la liberté et la barbarie.

Rarement un contexte politique aura autant pesé sur une rencontre intellectuelle. Comme en 2023, une place centrale a été faite dans les débats à la menace russe et au malheur du peuple ukrainien, défenseur héroïque des valeurs européennes. La présence cette année encore, parmi d’autres intervenants ukrainiens remarquables, de Constantin Sigov, intellectuel charismatique qui a tant fait pour la prise de conscience en Europe des enjeux du conflit, est un des points forts des Conversations. L’Ukraine offre à tous les citoyens européens un exemple admirable de civisme. Mais l’appel au réveil citoyen prenait cette année une dimension plus immédiatement politique pour les Français et les Américains. Malgré un effort méritoire d’ouverture, la manifestation relayait, plus encore que les années précédentes, les craintes des conservateurs prompts à discerner dans le triomphe annoncé du Rassemblement national en France – démenti par les élections du lendemain – et le pronostic d’un retour de Trump au pouvoir à l’automne, la sanction d’une politique « wokiste » et d’une faute des « élites ». Le long article, solidement charpenté, de Laure Mandeville, responsable intellectuelle des Conversations, dans Le Figaro des 6 et 7 juillet, dit par son titre même – « Avis de tempête sur la démocratie occidentale » – l’inquiétude d’une part de l’opinion française et américaine devant les « insurrections populaires », l’effondrement de l’autorité et la dissolution de l’identité occidentale. D’où la faible part consacrée aux aspects économiques de la crise et la quasi-absence d’une réflexion sur le poids des inégalités sociales ou géographiques. À cet égard, les Conversations Tocqueville ne sont pas seulement un lieu de très belles rencontres mais aussi un observatoire des frustrations et des angoisses qui traversent les sociétés occidentales et inspirent à beaucoup la nostalgie du monde que nous avons perdu.

On ne peut donner ici qu’un aperçu des très nombreux et riches échanges. Après le mot d’accueil de Jean Guillaume de Tocqueville, les élus normands, sponsors de la manifestation, ont très pertinemment énoncé les conditions de l’engagement civique. David Margueritte, Président de l’agglomération du Cotentin, a rappelé la nécessité de disperser les pouvoirs et d’accroître le rôle des corps intermédiaires – dont les budgets ont été fâcheusement amputés au cours des dernières années. La mission des élus locaux est rude : il leur incombe de gérer le passage d’une société de classe à une société d’individus ; c’était précisément l’ambition de Tocqueville, très actif comme député et comme conseiller général, soucieux de lutter contre l’individualisme de ses commettants. Quoique les Conversations se soient tenues dans le fief électoral de Tocqueville, elles ont néanmoins peu développé cette importance de la démocratie locale, école primaire de la liberté.

Suivit le discours d’ouverture par Edouard Philippe qui revendiqua l’héritage de Tocqueville pour appeler ses concitoyens à sortir de leur apathie et à s’extirper des petites préoccupations du bien-être. Les remèdes discernés par Edouard Philippe sont ceux énoncés dans La Démocratie en Amérique : produire un débat public de qualité, favoriser la participation de tous à la souveraineté, inventer de nouvelles formes d’intervention citoyenne. Mais il ne masque pas qu’il faut les actualiser pour lutter contre la montée des démocraties illibérales. Car il nous faut affronter aujourd’hui des défis nouveaux : la démographie, la transformation technologique, l’émergence de puissances nouvelles, la transformation climatique. Renvoyant à l’analyse remarquable de Ann Applebaum sur les sociétés issues du communisme2, Edouard Philippe conclut en signalant que l’appauvrissement relatif des classes moyennes est une menace pour la démocratie, tout comme la dégradation d’une école qui en France reproduit plus qu’ailleurs dans l’OCDE les inégalités sociales. La liberté a des yeux d’orage…

Le Général Christopher G. Cavoli, Commandant suprême des forces alliées en Europe, était l’autre grande personnalité invitée à ouvrir les Conversations. Il s’est livré à l’éloge du citoyen–soldat aux États–Unis, rappelant le propos de Jefferson : “ The tree of liberty must be refreshed from time to time with the blood of patriots and tyrants3. » Les difficultés actuelles des armées occidentales à recruter rouvrent selon lui la question du recours à la conscription ou du moins à une politique propre à susciter des vocations civiques4. S’ensuivit une discussion animée sur la difficulté à revenir à un service militaire obligatoire dans des sociétés de confort ayant opté depuis longtemps pour des armées professionnelles.  Il n’est pas sûr que cet éloge très applaudi du citoyen-soldat, se sacrifiant pour le bien commun, ne mythifie pas le passé et n’enjolive le présent. L’avantage de l’appel à la milice citoyenne est le lien qu’elle noue entre l’armée et la République. Mais ce lien est et a toujours été fragile. On sait qu’un grand mérite de Washington fut de maintenir au combat – difficilement – les citoyens-soldats des milices qui avaient hâte de retrouver leurs champs ; pour cette raison il était devenu favorable à une armée de métier quoique les pères fondateurs se soient méfiés des armées professionnelles susceptibles de se mettre au service d’un pouvoir anticonstitutionnel5.

En France le citoyen-soldat ne relève pas moins du mythe patriotique. Tocqueville dans ses carnets de voyage avait noté l’importance politique en Amérique du recours à la milice citoyenne qui assurait l’ordre dans les communes. Lui-même avait fait partie de la garde nationale en 1830. On était loin pourtant alors en France d’avoir mis en acte le principe, hérité de la Révolution française, du citoyen-soldat. La pratique du remplacement dispensait de fait les classes aisées de servir ; le service universel et obligatoire n’a été véritablement effectif qu’au début du 20e siècle, puis la conscription a été suspendue en 1996. L’acceptation de l’impôt du sang avait toujours été fragile6. Historique, la question est aussi politique. Aux États–Unis comme en France, la méfiance subsiste à l’égard d’armées professionnelles soupçonnées de sympathie pour les hommes forts. On a vu d’anciens vétérans à l’assaut du Capitole. Cette méfiance est injustifiée selon le Général Cavoli, tout officier à chaque promotion répétant son serment de respecter la constitution. Deux officiers devaient prolonger la réflexion du Général Cavoli en lui donnant une ouverture comparative. L’Amiral français Edouard Guillaud, ancien chef d’État-major des armées, insista à son tour sur la nécessité de renforcer le sentiment d’appartenance à la nation, sur le rôle de la réserve pour l’implication des citoyens ; comme le Général Cavoli, il expliqua qu’en France la loyauté de l’armée envers la loi était assurée par le serment prononcé à chaque promotion et le devoir de réserve en public (on rappellera que jusqu’en 1944 les militaires n’avaient pas le droit de vote). Alexandre Vautravers, Colonel d’État-major général, rédacteur en chef de la revue militaire suisse, devait en s’appuyant sur l’expérience suisse souligner à son tour la dimension mythique du citoyen-soldat, ce qui ne diminue pas son importance politique. Si la conscription n’a été obligatoire qu’en 1911, les citoyens y sont très attachés ; dans la votation de 2013, 76 % d’entre eux ont voté pour le maintien de la conscription – le contraste est grand avec les moins de 1% de citoyens volontaires dans les pays voisins. Mais comme les autres intervenants il attire l’attention sur la difficulté et le coût du rétablissement de la conscription une fois qu’on l’a supprimée.

Le contraste était grand entre ces réflexions et les témoignages apportés par le maire de Kiev, Vitali Klitschko (intervenant en ligne) et par Tetiana Ogarkova, professeure de littérature à l’université Mogila au cours de la seconde table ronde du vendredi après-midi intitulée « Le citoyen-soldat, pourquoi le citoyen doit-il se saisir de la sécurité nationale ? » modérée par Andrew Michta. Tetiana Ogarkova, très active dans la collecte de moyens pour le front, montra comment la destruction rapide de l’armée professionnelle avait conduit à impliquer toute la société et à abolir la distinction entre le citoyen-soldat et le militaire professionnel ; en Ukraine le citoyen n’est pas l’obligé d’un État-providence, c’est l’État qui est l’enfant des citoyens qui donnent à l’État plus qu’ils n’en reçoivent. On pourrait conclure que les Ukrainiens offrent à un Occident assoupi une légende héroïque qui semble renouveler pour les Français la mémoire des volontaires de Valmy accourant pour sauver la patrie en danger.

***

Après les discours d’ouverture, on passa aux tables rondes. La première, intitulée « La démocratie menacée, où sont passés les citoyens ? » était modérée par Valérie Toranian directrice du Point ; y participèrent Oleksander Scherba ambassadeur ukrainien-at-large et Jean-Michel Blanquer. Celui-ci insista sur les pentes mauvaises des démocraties : leur myopie sur le long terme, leur impuissance parce que les contre-pouvoirs sont désormais plus forts que les pouvoirs et les adversaires de la démocratie plus visibles que ses partisans. La démocratie est en crise ; il en impute la faute aux élites politiques étrangères au monde professionnel et souvent dépourvues d’expérience politique, aux réseaux sociaux, aux manipulations russes, à la faiblesse intellectuelle du débat public dans lequel le marxisme a été remplacé à gauche par le wokisme… Sombre tableau qui fit consensus mais qui n’ouvrait guère de chemins d’avenir. L’intervention qui donna lieu à la discussion la plus soutenue est celle de Daniel Levy, anglo-israélien, Président du US/Middle East Project, et qui comme diplomate avait participé aux pourparlers israélo-palestiniens de 1994-1995. S’élevant au-dessus des discours partisans, il souligna trois points : le 7 octobre a été un crime et une violation du droit international, les Palestiniens ayant le droit de résister mais non de tuer ; Israël a le droit de se défendre mais affamer une population est un crime de guerre condamné par la Cour internationale de justice ; enfin si le contexte ne justifie pas le crime de guerre des Palestiniens, il doit être pris en compte pour élaborer une solution politique acceptable pour tous, y compris dans l’intérêt de l’Occident qui perd sa crédibilité.

La table ronde suivante, intitulée « Citoyenneté et religion » était modérée par Joshua Mitchell, Professeur de théorie politique à l’Université Georgetown et référence tocquevillienne de la Fondation Tocqueville. Après un long rappel sur la place de la religion dans La Démocratie en Amérique, il montra comment la tradition américaine du « réveil » religieux est à la source de la diffusion du wokisme en Amérique ; c’est la pratique protestante de l’« atonement » qui consiste à reconnaître publiquement ses fautes, conduisant à une culpabilisation générale des Blancs. Le propos est très éclairant pour comprendre un univers américain très exotique pour des Français tant la reconnaissance publique et collective d’une culpabilité est étrangère à la tradition catholique qui n’a pratiqué (et largement abandonné récemment) que la confession individuelle. Le débat s’engage ensuite sur la situation des trois religions les plus représentées en France, le christianisme, le judaïsme et l’islam. Florence Bergeaud Blackler, anthropologue au CNRS, auteur d’un livre très discuté sur Le Frérisme et ses réseaux (Odile Jacob, 2023) revient sur le concept de laïcité comme lieu d’arbitrage entre deux pouvoirs, le politique et le religieux considéré dans sa dimension temporelle ; elle rappelle combien le Concordat de 1801 complété en 1808 par une extension au culte juif a permis une évolution des religions. L’islam n’ayant pas été intégré dans le Concordat, elle appelle à un concordat avec les formes de l’islam compatibles avec les Lumières7 tout en jugeant qu’aucune transaction ne sera possible avec l’islam littéraliste et dogmatique des Frères musulmans. Cet appel à un nouveau concordat parut irréaliste aux trois autres intervenants. Ghaleb Bencheikh, théologien et Président de la Fondation de l’Islam de France créée par Jean-Pierre Chevènement en 2016 pour enrichir la formation laïque des cadres religieux musulmans, parle lui aussi de la diversité des formes de l’islam. Il faut convaincre les croyants qu’on ne gouverne pas la politique selon le désir de Dieu et les appeler à refonder aujourd’hui l’islam pour penser la liberté de conscience, l’égalité entre les êtres humains par-delà le genre et l’orientation religieuse, la désacralisation de la violence, l’autonomisation du champ de la connaissance par rapport à la foi. Certes c’est là, reconnaît-il, une entreprise de longue haleine. Longue… mais comme l’a été le ralliement du christianisme à la république.

La situation est évidemment différente pour le judaïsme et le christianisme dont l’implantation est ancienne en France. Yann Boissière, rabbin de la synagogue Copernic à Paris et Président de l’association Les voix de la Paix qui œuvre pour la recherche de convictions communes entre croyants et non croyants, se demande ce que les religions peuvent apporter à la citoyenneté. La réponse ne va pas de soi tant en France la culture religieuse est largement absente, ce qui du reste rend difficile la lutte contre les extrémismes religieux. Qu’apportent les religions ? Une résistance à la liquéfaction d’une société affolée de consommation, où tout est jetable8 ; un recours contre la fragmentation sociale. Les religions du livre sont fondées sur une allégeance à des textes intangibles mais auxquels chaque génération est sommée de trouver un sens nouveau ; elles apportent de la stabilité sans nuire à l’innovation. Elles sont aussi facteurs d’unité : si les divisions sont fondamentales en politique, les religions donnent place à la fraternité ; elles nous apprennent que ce que nous donnons à l’autre n’est pas à la hauteur du don qui nous est fait ; enfin la religion juive – et ceci lui est spécifique – transmet la culture du dissensus : deux juifs, trois opinions ; une bonne conversation est celle où les interlocuteurs prennent une conscience accrue de leur différence, c’est un modèle de débat pour les démocraties. L’intervention d’Anne-Marie Pelletier, exégète et théologienne, préfacière du livre de Constantin Sigov (Le courage de l’Ukraine, 2023) s’inscrit dans la continuité des deux interventions précédentes en cherchant ce que peuvent apporter les religions aux politiques : elles nous évitent l’idolâtrie du pouvoir, elles sont un parapet pour la liberté. Il y a de ce fait, comme elle le souligne, un paradoxe dans la situation actuelle des sociétés européennes. Elles sont puissamment sécularisées, comme Danielle Hervieu-Leger l’a montré, la culture religieuse s’y est perdue mais subsistent des références nombreuses au christianisme, embrigadées dans un discours populiste qui les utilise pour affirmer une identité de fermeture9. Les références chrétiennes de Salvini, Orban, Bolsonaro ou Trump sont bien loin du christianisme de Gaspari, Adenauer ou Schumann qui trouvaient dans la foi une impulsion à la reconnaissance mutuelle et au souci de la justice sociale. Anne-Marie Pelletier rappelle ce qu’écrivait Emmanuel Levinas : le sacré qui se pervertit est plus grave que le sacré qui disparaît. On est frappé de la convergence des participants à ce débat tant ils partagent l’attachement à l’espace commun de la laïcité, la volonté de s’inscrire dans le temps long et d’œuvrer à une société de la confiance.

***

La matinée du 6 juillet fut consacrée aux enjeux géopolitiques et à une actualité française qui obsédait tous les esprits. Laure Mandeville ouvrit les débats par un long exposé dont on trouvera la substance dans son article du Figaro du 6-7 juillet, « Avis de tempête sur la démocratie occidentale : quel rôle pour les citoyens ? ». Elle y attribue la montée prévue du Rassemblement national (provisoirement car entravée aux élections du lendemain ) à la colère contre les élites gouvernantes occidentales qui depuis trente ans rêvent de la fin des nations, favorisent la globalisation et l’immigration, ignorent la demande d’autorité et laissent se diffuser une idéologie wokiste de déconstruction… Tableau noir, mais il est vrai que la présence d’Ukrainiens que Laure Mandeville a depuis plusieurs années beaucoup contribué à faire entendre en France10 rappelait à tous que nous nous inscrivons dans un contexte international menaçant et qu’une partie de l’opinion rêve de se soumettre à un homme fort. Ce thème de l’homme fort et du risque de dictature a dominé les débats suivants, soit que comme l’ambassadeur de Hongrie Georg von Habsburg-Lothringen on s’efforce – sans convaincre – de justifier une voie particulière de démocratie autoritaire, soit que comme Dana White, Porte-parole du Pentagone sous la présidence de Donald Trump, on explique la popularité croissante de Trump par sa capacité à entendre les questions du peuple. Cette victoire de Trump, pour le politique Yascha Mounk, ferait évoluer les États–Unis vers le modèle hongrois – pour le malheur de l’Europe. Ce thème des citoyens face à la dictature fut aussi l’objet de l’échange entre Evan Mawarire, pasteur zimbabwéen et l’auteur russe dissident Victor Erofeev.

Les remèdes au risque de dictature relèvent à la fois de la régulation par les États, de l’engagement de la société civile et de l’éducation.

La nécessité d’une régulation étatique fut abordée d’abord par une conversation avec Geoffroy Roux de Bézieux Président d’honneur du MEDEF (l’organisme syndical patronal en France) de 2018 à 202311. Réfléchissant sur le lien entre capitalisme et liberté, il juge que la démocratie fournit un cadre stable favorable à l’économie parce qu’elle repose sur le suffrage universel, la liberté, l’état de droit et la séparation des pouvoirs ; elle pousse au partage des richesses, au respect de la propriété privée ; elle régule les excès du capitalisme par la fiscalité et le droit du travail. Cette régulation du capitalisme par la démocratie est cependant remise en cause par le développement de puissances économiques non démocratiques, par la montée de partis populaires qui visent à limiter le libre-échange et par l’apparition de très grosses entreprises qui prennent la place de l’État. Face à ces menaces, il faut rappeler que c’est la liberté qui permet l’innovation, et il faut lutter contre la cécité des élites qui ont laissé s’installer une fracture entre les métropoles et les autres territoires, et notamment une fracture technologique.

Geoffroy Roux de Bézieux revient sur cette fracture technologique dans la table ronde du samedi après-midi consacrée aux citoyens face au défi technologique, en insistant sur le danger de l’intelligence artificielle qui se substitue aux interactions personnelles et déresponsabilise les individus. S’ensuit une conversation passionnante avec Scott Carpenter, fondateur de Google Ideas et Murielle Popa-Fabre neuro-scientifique, chercheuse en traitement du langage naturel et conseillère sur l’IA du Conseil de l’Europe. Elle montre que Chat GPT étant entraîné pour engendrer des suites probables de mots et de lettres, il transforme des statistiques en langage, créant ainsi inévitablement des biais cognitifs.

Le remède à la désaffection démocratique, c’est aussi la philanthropie. Dans un trop bref débat que le modérateur John Gizzi réussit néanmoins à rendre fécond, on entendit Amitabh Shab, indien fondateur de YUVA Unstoppable, organisation à but non lucratif dédiée à l’éducation (notamment sanitaire) en Inde et Cynthia Wu, philanthrope et femme politique taiwanaise. Cynthia Wu fit allusion au fait qu’elle avait décidé d’entrer en politique pour avoir un cadre plus large ; le temps manqua pour s’interroger sur le rapport entre philanthropie et politique.

Restait la question soulevée par Edouard Philippe dès le début des Conversations : quel rôle peut jouer l’éducation dans la construction des citoyens ? La dernière table ronde, qui y fut consacrée, était animée par Eugénie Bastié journaliste au Figaro et à C-News, auteure d’une dénonciation du wokisme dans son recueil d’articles La dictature des ressentis (Plon, 2023). Entendons par wokisme – un néologisme qui ne s’est diffusé en français que depuis 2019 – cette déviation qui conduit à renoncer à l’objectivité des faits au profit du ressenti, lequel interdit tout dialogue. Le mot embrasse large, trop large assurément : l’antiracisme, le féminisme, les études de genre, le décolonialisme… sa dénonciation a des précédents glorieux : Allan Bloom, Leszek Kolakowski… On peut juger cette dénonciation éloignée de la réalité des problèmes de l’enseignement français et somme toute plus pertinente pour les États-Unis que pour l’Europe. C’est du reste le sentiment que m’inspirèrent les deux interventions d’universitaires américains. Jean Yarbrough, Professeure de sciences sociales à l’Université Bowdoin, montra comment aux États-Unis on a renoncé à enseigner l’histoire et donc à partager un héritage commun. Joshua Mitchell déplora que dans les universités l’idéologie ait remplacé la vérité, les réseaux sociaux l’évaluation par les maîtres, et que les étudiants s’absorbent désormais dans la méditation sur leur culpabilité de mâles blancs. L’un et l’autre se sont placés dans la lignée du livre célèbre d’Allan Bloom, Closing of the American Mind 12 pour dénoncer le relativisme et la réduction de l’univers intellectuel au dogme wokiste ; tous deux ont plaidé en faveur de la restauration urgente d’une culture littéraire dont Tocqueville avait montré la nécessité pour les élites. Cette injonction d’un retour aux Humanités littéraires fut reprise par Mathilde Brézé, jeune professeure de lettres, qui appelait avec un enthousiasme communicatif à une pédagogie de l’admiration et à un retour à l’idéal de la méritocratie, à rebours de la pédagogie dominante qu’elle accuse d’être axée sur l’émancipation et l’esprit critique – ou plutôt de critique. Entre ces discours teintés de nostalgie et l’intervention qui suivit de Constantin Sigov, il y avait tout l’écart entre des pays nantis, un peu assoupis, et une nation confrontée au tragique, pour laquelle la tradition européenne est une tradition de résistance, et la culture un viatique dans l’adversité ; la dernière table ronde revenait ainsi au fil rouge de toutes ces Conversations : comment lutter contre les excès de l’individualisme conquérant ? ; comment susciter un sursaut chez les jeunes générations ici représentées par les interventions finales de trois étudiants ?

***

Ces Conversations de 2024 étaient fidèles à l’ambition tocquevillienne d’une éducation au civisme, par leur sujet plus que par une lecture de l’œuvre réduite, comme souvent, à quelques considérations tirées du volume de 1835 de La Démocratie en Amérique qualifié de prophétique. On regrettera cette absence de recul historique13. S’il y a bien aujourd’hui « avis de tempête », cet avis date de la naissance même de la démocratie. Dès le début du 19e siècle l’uniformisation des conditions nourrit l’insatisfaction devant ce que l’égalité a de toujours incomplet et l’émancipation des individus s’accompagne d’orages révolutionnaires. La pensée de Tocqueville lui-même s’est forgée à l’épreuve des révolutions : 1830, 1848… Ces crises récurrentes appellent à ses yeux une politique plus novatrice qu’un appel au retour à l’autorité ancienne. Il faut ici le citer : « Je conviendrai sans peine que la paix publique est un grand bien ; mais je ne veux pas oublier cependant que c‘est à travers le bon ordre que tous les peuples sont arrivés à la tyrannie. »  (DA, 1840, II, 14). Son objectif était de favoriser l’apprentissage de la liberté par tous sans exclure qu’elle puisse prendre des formes inédites.

Cet apprentissage n’est pas envisageable sans une certaine égalité économique ; il faut rappeler que le grand discours de Tocqueville annonçant la révolution de février 1848 était inspiré par la clôture sociale du pouvoir de Guizot ; la fonction du politique était pour Tocqueville inclusive, y compris socialement14. Il n’avait pas pensé – ou seulement à la marge – la résurgence des inégalités. L’accroissement des inégalités en France comme aux États-Unis menace aujourd’hui la démocratie. La fin du mois préoccupe plus les classes populaires que le wokisme. Edouard Philippe l’avait dit d’emblée et Daniel Levy répéta l’avertissement : « Nous avons évacué le problème des inégalités obscènes de nos sociétés et de la nécessaire redistribution de la richesse pour vendre au peuple des guerres culturelles et identitaires ». Ce serait un beau sujet pour de futures Conversations Tocqueville.

Notes

[1] Voir l’enregistrement des débats sur le site de la fondation Tocqueville : en français : https://bit.ly/ConvTocqFR, en anglais : https://bit.ly/ConvTocqENG

[2] Twilight of Democracy : The Seductive Lure of Authoritarianism, Doubleday, 2020, 224 p. Traduction française, Démocraties en déclin, Réflexions sur la tentation autoritaire, Grasset, 2021. L’auteur examine comment en Pologne, en Hongrie, dans le Royaume-Uni de Boris Johnson et les États-Unis de Trump, une droite modérée cède le terrain à une droite autoritaire et illibérale.

[3] Lettre du 13 novembre 1787 à William Stephens Smith, gendre de John Adams. Rappelons le contexte de cette citation célèbre. Réagissant à la nouvelle constitution, Jefferson se montre hostile à une durée longue du mandat présidentiel que la Constitution avait prévue pour lutter contre le risque d’insurrection. Jefferson redoute en effet moins les désordres résultant d’une rébellion que la léthargie face aux tyrans : « What country can preserve it’s liberties if their rulers are not warned from time to time that their people preserve the spirit of resistance? Let them take arms. The remedy is to set them right as to facts, pardon and pacify them. What signify a few lives lost in a century or two? The tree of liberty must be refreshed from time to time with the blood of patriots and tyrants. »

[4] Pour les lecteurs français souhaitant comprendre ce débat américain, voir le rapport de l’Observatoire de la politique de défense américaine, Les relations armées/société aux États-Unis, par Didier Gros et Nicole Vilboux, Fondation pour la recherche stratégique, janvier 2024, https://www.defense.gouv.fr

[5] Le 2 juin 1784, en créant l’United State Army, le Congrès continental avait adopté une résolution selon laquelle en temps de paix les armées sont un danger pour les libertés d’un peuple libre.

[6] Voir François Gresle, « Le citoyen-soldat garant du pacte républicain : à propos des origines et de la persistance d’une idée reçue », L’Année sociologique (1940/1948-), Troisième série, vol. 46/1, Nation, nationalisme, citoyenneté, 1996, p. 105-125.

[7] Elle renvoie sur ce point à Ernest Gellner, Saints of the Atlas, 1969. L’ouvrage qui étudie l’islam des Berbères montre la diversité des islams et la possibilité d’un islam des Lumières. Voir aussi sur l’islam des Lumières Mohammed Arkoun, Lectures du Coran, 1982.

[8] Allusion au livre de Zygmund Baumann, La Vie liquide, Le Rouergue/Chambon, 2006.

[9] Voir Jacopo Scaramuzzi, Dieu ? Au fond à droite. Quand les populistes instrumentalisent le christianisme, Salvator, 2022.

[10] Voir notamment ses entretiens passionnants avec Constantin Sigov, Quand l’Ukraine se lève : la naissance d’une nouvelle Europe, Talent éditions, 2022.

[11] Voir son livre Pour sortir de la crise : le capitalisme, Editions du moment, 2011.

[12] Closing of the American Mind, New York, Simon & Schuster, 1987. Trad. fr. L’Âme désarmée, Éditions Julliard, 1987. Rééd. Les Belles Lettres, 2018.

[13] Recul qu’on trouve dans le livre de Dominique Schnapper, Les désillusions de la démocratie, Gallimard, 2024.

[14] Voir son programme politique en 1847, OC, tome XVII, 2, p. 323-333.

RÉsumÉ

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